L’état d’urgence, qui dure depuis plus de trois semaines, a été prolongé jusqu’au 26 février 2016 par un vote quasi unanime de l’Assemblée nationale, du PCF au Front national. Mais ce n’est pas suffisant pour le gouvernement, qui prévoit de réformer la Constitution pour pouvoir maintenir le pays le plus longtemps possible sous ce régime.
Les chiffres témoignent de l’ampleur de l’opération déjà engagée : en seulement trois semaines, 2 029 perquisitions, 219 interpellations, 286 assignations à résidence… pour 0 information judiciaire ouverte en lien avec une entreprise terroriste !
Par ailleurs, force est de constater que 10% des perquisitions seulement aboutissent à l’interpellation d’un individu, 15 % à la découverte d’armes, 5 % à celle d’« armes de guerre »… Des centaines de perquisitions sont ainsi réalisées tous les jours, sans qu’elles aboutissent à rien, si ce n’est effrayer la population. La presse fait état quotidiennement d’intrusions de dizaines de policiers, avec équipement d’assaut, chez des particuliers ou dans des commerces, sans aucune justification, sinon de vagues « soupçons »…
LA LUTTE ANTITERRORISTE, PRÉTEXTE A UN RÉGIME D’EXCEPTION
Il ne s’agit ni d’excès de zèle de certains préfets ni de dérapages des services de police, mais des conséquences logiques d’un régime d’exception dans lequel le contrôle habituellement exercé par un magistrat, sur la base de critères posés par la loi, est supprimé. Face à la levée de boucliers immédiate notamment dans les organisations syndicales, et plus généralement chez tous les militants attachés à la démocratie, le gouvernement a promis : ces mesures d’exception ne seront mises en œuvre que dans le cadre de la lutte antiterroriste. Mais à peine trois semaines plus tard, les masques tombent déjà : le ministère de l’intérieur reconnaît lui-même qu’au moins 25 % des perquisitions effectuées n’ont rien à voir avec le terrorisme. L’état d’urgence permet aux services de police de boucler certaines enquêtes à peu de frais, sans s’embarrasser du Code de procédure pénale. Dans le même temps, des dizaines de militants associatifs sont perquisitionnés, assignés à résidence… Tandis que des manifestations ou rassemblements syndicaux sont interdits : la liberté de manifester dépend désormais du bon vouloir du préfet. L’état d’urgence apparaît ainsi pour ce qu’il est : une arme entre les mains du gouvernement pour tenter de contenir tout mouvement revendicatif contre sa politique.
Le gouvernement annonce désormais une réforme de la Constitution, contenant principalement deux mesures. La première prévoit la déchéance de la nationalité française pour les binationaux, y compris ceux nés français, condamnés pour « atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ou « acte de terrorisme ». Il s’agit là d’une idée directement puisée dans le programme de l’extrême droite, et le gouvernement ne s’en cache d’ailleurs même pas. Sauf que le Conseil Constitutionnel consulté hier semble dire que ce serait contraire justement à l’article 1 de la Constitution.
La seconde mesure comprise dans la réforme consiste à étendre le plus longtemps possible l’état d’urgence. Actuellement, l’état d’urgence peut être prononcé par décret présidentiel pour une durée de douze jours maximum. Le Parlement décide ensuite de sa prolongation pour une durée maximale de trois mois.
Le gouvernement souhaiterait désormais que le Parlement valide l’état d’urgence pour une durée de six mois. Mais il va encore plus loin en proposant qu’après la levée de l’état d’urgence, les préfets continuent pendant six mois de disposer de pouvoirs de police dérogatoires, et notamment en ce qui concerne les rassemblements et manifestations.
Si une telle réforme devait être adoptée, cela impliquerait que même si l’état d’urgence était levé, le 26 février 2016, les libertés démocratiques continueraient d’être menacées jusqu’au 26 août 2016…
Le gouvernement cherche ainsi à plonger durablement le pays dans l’arbitraire, où la liberté de manifester ne serait plus le principe, mais l’exception… Et cela à un moment bien particulier, où il tente par tous les moyens d’imposer une remise en cause totale du Code du travail et d’appliquer la loi Touraine (suppression de lits et de postes par milliers notamment), la réforme du collège, et continuer à liquider purement et simplement des services entiers à la DGFIP…
L’état d’urgence et son renforcement prévu par la révision constitutionnelle à venir constituent ainsi une menace d’autant plus grave contre le mouvement social et la démocratie, qu’ils ont vocation à remettre en cause les libertés collectives, précisément au moment où les travailleurs sont amenés à s’en saisir pour lutter contre la politique du gouvernement.
Tous les citoyens attachés à la démocratie ne peuvent qu’exiger que cesse dès maintenant l’arbitraire. On ne répond pas à ceux qui menacent la démocratie par moins de démocratie.
Il faut massivement renforcer tous les services publics afin que toutes les investigations et interpellations se fassent sous le contrôle des juges, dans le respect de l’état de droit.
LA RÉPUBLIQUE ET LA DÉMOCRATIE NE SE BRADENT PAS.