Enfin ! Oui, enfin de l’audace et de la nouveauté ! Enfin une évolution ! Un plan qui a ce qu’il faut. À se demander pourquoi mettre en place une « phase de concertation » si ce n’est à cause du « gaulois réfractaire » et sa fâcheuse tendance à s’opposer à tout (non) sans intelligence.
Phase 1 : Place au dialogue !
Les directions locales ont eu la chance de pouvoir annoncer aux agents les cartes prévisionnelles du nouveau réseau de proximité. Cartes bien évidemment non définitives puisqu’elles ne le deviendront qu’à l’issue d’un processus de concertation afin d’appréhender au mieux les enjeux locaux. Toutefois, selon une note interne de SPiB 1B relayée par la CGT, il apparaît que la concertation n’est pas une négociation, loin de là. Les directeurs départementaux et régionaux ne disposent que de marges de manœuvres réduites ne portant plus que sur les lieux d’implantation des structures.
Les marges de négociation à votre main portent sur :
– le lieu d’implantation des services et de leurs antennes pérennes (en nombre constant par rapport à la carte d’entrée en négociation; pour les propositions de créations cf infra);
– le lieu d’implantation des points d’accueils de proximité mutualisés, et leur nature (permanence en mairie, présence ponctuelle en maison France- services, permanence physique ou visio), voire le nombre (il est possible de proposer plus d’accueils de proximité) ainsi que les jours ou créneaux de présence d’un agent de la DGFIP;
– le lieu d’implantation du conseiller aux élus et l’augmentation de leur nombre, pourvu qu’ils restent implantés dans les territoires et non au chef lieu du départementaux.
– Le cadencement des opérations entre 2020 et 2022.
La population et les élus locaux ont réclamé avec force des services publics de proximité lors du grand débat national (qui oserait s’opposer à la volonté populaire ?). Inutile de préciser que lorsque les Français se sont exprimés, ils avaient déjà, pour nombre d’entre eux, signalé que les réponses sous forme de cases à cocher étaient orientées. Mais ils pensaient, naïvement sans doute, que les contributions libres allaient leur permettre de faire entendre leurs arguments. Ils ne sont bien évidemment pas déçus.
Ils ne pouvaient l’être. Leurs idées ont été remarquées. L’idée, c’est justement cela que l’algorithme de la société Qwam est allé chercher dans les contributions. Extraire les idées, les classer par thématiques et produire des statistiques. Il suffisait dès lors d’être attaché aux services publics, de s’opposer à l’abandon des zones rurales ou au démantèlement des administrations pour que les idées soient regroupées. Et lorsque l’idée majoritaire sort du lot, on peut en faire ce que l’on veut… Une fois que l’on dispose de l’idée défendue d’un service public de proximité, on ne dispose de rien sur les moyens afin d’y parvenir. Or, même si tout le monde s’accorde sur les objectifs, nombreux sont les chemins.
Afin d’éviter le tohu-bohu au sein des chaumières, il est nécessaire d’ancrer dans l’opinion que l’on répond aux préoccupations des citoyens. Ainsi, le « plan Darmanin » s’assume comme la réponse à l’expression populaire. Selon ce plan, le nombre de points de contact entre l’administration et les particuliers sera en nette hausse puisqu’un grand mouvement de « déconcentration de proximité » ambitionne de rapprocher l’administration des territoires ruraux. Le « nouveau réseau de proximité » vient multiplier les points de contacts entre les usagers et l’administration. L’opinion, à défaut de plus d’informations, est gagnée.
Il ne manque plus qu’une chose pour que tout se passe au mieux. Il faut l’assentiment de tous ceux qui seront lésés par le chemin emprunté. Ceux dont le derrière est coincé entre la volonté populaire et les perspectives qu’ils décèlent sur une toile noire. Il apparaît dès lors primordial de rassurer les agents en leur expliquant que « cette transformation est une opportunité pour les cadres et les agents de la DGFiP » durant laquelle « il n’y aura pas de mobilité forcée » et surtout, pendant laquelle « la situation individuelle et le bien-être au travail des agents feront (…) l’objet de la plus grande attention » ! Vous êtes dans une maison en bois, au milieu d’une forêt en feu, mais rassurez-vous… la porte n’est pas fermée.
Phase 2 : La logique du « There is no alternative »
L’évolution. L’évolution de notre société, de nos outils, de nos façons de faire. Tout en nous vendant un rapprochement entre les individus, internet nous éloigne du rapport humain. C’est l’évolution. Celle-là même qui rend inéluctable la restructuration de la DGFiP. Celle-là même qui légitime les critiques récurrentes de la Cour des Comptes et de ses quelque 637 énarques-magistrats payés, en moyenne, entre 4200 euros et 9250 euros net par mois, lorsqu’il est question de réduction des coûts ou de limitation de l’emploi public.
Il serait absurde de nier que nos métiers ne sont plus les mêmes. Avec le déploiement de la modernité dans l’administration, tout a changé pour le mieux. Les démarches se font en lignes (déclarations de revenus, assistance, paiement…). Les patrons récoltent l’impôt sur les revenus (et bénéficient d’un surplus de trésorerie temporaire appréciable). Les facteurs voulaient aider à déclarer les revenus (pour une modeste sommes avoisinant les 50€). Les buralistes obtiennent la gestion du paiement en numéraire (dites au revoir à la confidentialité pour un coût d’environ 5 euros par transaction). Avec un tel constat, on est en droit de se demander ce que font encore les agents de la DGFiP !
Impossible donc de maintenir les choses comme elles le sont. Il faut réformer. Il faut, comme nous le fait savoir M. J. Fournel (Directeur général de la DGFiP), « nous redéployer pour offrir une qualité de service accrue et plus de points de contact aux usagers et aux collectivités ». C’est simple, efficace. Pour un service de qualité, supprimez-le.
Bonne nouvelle, le 29 août 2019, Cadremploi révélait que 82 % des cadres parisiens étaient prêts à quitter la ville de Paris. Leurs destinations phares étant Bordeaux et Nantes. Modérez votre enthousiasme, ce n’est pas le genre de ville dont les noms marquent le discours de nos politiques lorsqu’il s’agit de géographie revisitée… Il faut faire des économies en faisant « sortir de Paris et des grandes métropoles des services de l’État, pour aller en région ». Comme le dit notre ministre M. G. Darmanin dans les colonnes du Parisien (8 mai 2019), « Aujourd’hui, internet permet d’installer ces services en Creuse, dans le bassin minier, en Bretagne… ».
En France, tout le monde ne rêve pas encore de numérique, d’écran géant, de tinder, de facebook ou d’impôts.gouv. Aujourd’hui encore, certains luttent pour s’éloigner autant que possible du numérique. D’autres luttent parce qu’ils en sont exclus.
Une enquête publiée en juin 2018 du conseil supérieur de l’audiovisuel et du syndicat de la presse sociale alerte sur l’exclusion générée par l’illettrisme numérique et informatique. La mission société numérique (pilotée par le gouvernement de M. Edouard Philippe) mentionne aussi dans son rapport de mai 2018 qu’en 2016, « 16% des Français ne sont pas internautes (n’ont pas utilisé internet au moins une fois au cours des 3 derniers mois). Parmi les internautes, 15% se disent peu ou pas du tout à l’aise dans l’usage d’internet ».
Bien que les plus de 70ans soient les premiers impactés, ils ne sont pas pour autant les seuls puisque 15 % des moins de 35 ans sont dans une situation de blocage. Hommes et femmes, citadins et ruraux, cadres et ouvriers, sont eux aussi tous touchés par ce phénomène.
Par ailleurs, existe une autre catégorie de français, les « abandonnistes ». Elle regroupe l’ensemble des français ayant abandonné une démarche ou plus généralement, abandonné les démarches pour faire valoir leurs droits. Non pas qu’elles ne se sentent pas à l’aise avec internet mais parce que le numérique à l’avantage de pouvoir rendre facilement la vie dure. C’est le constat amer que l’on tire d’une visite sur le site du renouvellement des demandes de permis de séjour ou plus récemment, sur le site pour la réclame d’un référendum concernant la privatisation d’Aéroport De Paris.
Les casseurs de pierres (Reproduction colorisée du tableau détruit), Gustave Courbet (1949)
Phase 3 : Redéploiement stratégique
C’est un redéploiement qui prend la forme d’un repli stratégique. Notamment en ce qui concerne la sphère de la gestion publique.
Les principaux axes de la réforme :
• Augmenter la taille critique des services comptables en fondant les trésoreries dans des Services de Gestion Comptable (SGC) afin de « favoriser l’industrialisation de certaines tâches ». Cette nouvelle structure reprendra le périmètre des trésoreries à l’exception de la fonction de conseil aux collectivités. Le public pourra toujours y être reçu sur rendez-vous pour des questions nécessitant une expertise.
• Le nombre de SGC étant bien inférieur à celui des trésoreries supprimées, il faut « redéployer » les cadres A+. Ils deviendront, pour certains, des Conseillers aux Décideurs Locaux (CDL). Ces conseillers sont affectés au niveau des EPCI et pourront ainsi se concentrer sur le rôle de conseil aux collectivités.
Vous l’avez compris, on détruit les implantations locales. On regroupe les agents. Mais… Mais… Mais… Bien évidemment, le nombre de poste ne sera pas constant ! Notre ministre des comptes publics annonçant déjà la suppression de 5800 emplois au sein du ministère d’ici 2022.
C’est ce qu’indiquaient parfaitement les règles de priorité en cas de restructurations qui avaient été communiquées par la Direction. Elles précisent bien que les agents le souhaitant, pourront suivre leur mission prioritairement… « dans la limite des emplois transférés ». Pour les autres, il faudra trouver un emploi vacant disponible (dans la même dominante s’ils veulent bénéficier de la Prime de restructuration tant vantée) alors même que toutes les trésoreries seront soumises à la même logique de restructuration. Ainsi, les agents, dont on ne parle que rarement dans les documents disponibles, auront le choix entre, suivre la mission, trouver un emploi vacant dans leur dominante métier, muter pour convenance personnelle ou la mise à disposition sur la Direction. Les agents ne resteront pas sur leur poste initial mais, il n’y aura pas de mobilité forcée. Hors département du moins.
Ceci étant dit, On comprend bien ici que le repli est de grande ampleur. Le nombre de structures diminue fortement. La contradiction du plan à l’objectif de proximité pourrait être remarquée si la réforme ne s’attachait pas à rendre séduisantes les Maisons de services au public. Qu’elles soient implantées dans les locaux des mairies, dans les sous-préfectures, dans des locaux associatifs ou encore dans des camions itinérants, ces maisons constituent le véritable nerf de la guerre en cours.
Les Maisons France Services, la nouvelle épicerie public « low cost »
Organisées par la loi NOTRé du 7 août 2015, les Maisons de Services au Public ne sont pas pour autant une nouveauté. Déployées progressivement depuis la fin des années 1990 elles ont d’abord été « maisons de services publics », puis « Relais services publics », « + de services au public » et ont pour vocation d’assurer le maintien d’un service public de proximité. Ces MSAP se contentent généralement de la présence d’un agent d’accueil chargé d’accompagner les citoyens vers les nouveaux outils numériques. Elles offrent ainsi aux administrations, la possibilité de fermer leur structures locales.
Au 24 septembre 2018, 1313 MSAP étaient en place. Parmi elles, 616 étaient portées par les collectivités, 203 par des associations et 494 par La Poste. La marche n’est donc pas énorme pour parvenir à l’objectif de 2000 structures au 1er janvier 2020.
Néanmoins, l’implantation des MSAP n’ayant fait l’objet d’aucune analyse précise des besoins ni de planification entraîne la coexistence de situations extrêmement variées (certaines n’accueillant même pas une personne par semaine).
Bien que les MSAP soient appelées pour palier les suppressions de structures et de postes au sein de l’administration, les équipes qui les composent sont généralement limitées à 1 équivalent temps plein sans cadre d’emploi particulier. La Cour des Comptes remarque que l’absence de « création d’un métier reconnu d’agent polyvalent d’accompagnement du public » fait partie des priorités afin de professionnaliser le modèle. De plus, l’accueil, souvent réalisé par des personnels en service civique peu formés et rémunérés 580 € mensuel, souligne encore une fois le désir d’agents précaires pour assurer les missions de service public.
Las de toutes ces critiques, le gouvernement a décidé de réorganiser ces accueils mutualisés. Un nouveau label « Maison France Service » illustre l’ambition de répondre à l’ensemble des insuffisances des MSAP. Ne seront labellisées que les structures répondant à un service minimum. Pour être labellisé France Service, les MSAP devront donc disposer d’au moins 2 agents polyvalents présents en permanence et en lien direct avec des référents des administrations participantes pour les assister en cas de besoin. Les agents d’accueil seront par ailleurs formés par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale et par les administrations participantes pour être en mesure de réaliser l’accueil de premier niveau (accompagnement pour l’utilisation des services en lignes et réponse à des questions simples).
Les préfets de département homologueront les maisons respectant les bases de la charte nationale d’engagement et du Bouquet de Service. Seront aussi présents dans ces nouvelles maisons, tant les opérateurs historiques que les nouveaux entrants tels que la DGFiP, le ministère de l’Intérieur, celui du Travail ou encore celui de la Justice. L’objectif étant le « 100 % de services publics dématérialisés à horizon 2022 ».
Inutile de se demander ce qu’il restera de ces maisons si les 14,5 millions de contribuables qui se sont présentés aux guichets de la DGFiP en 2017 venaient s’ajouter aux 644 408 qui ont trouvé le chemin des MSAP du 1er avril 2017 au 1er avril 2018 . Inutile de préciser que la DGFiP n’assumera plus l’accueil dit de « premier niveau » des contribuables et que la confidentialité ne sera plus réelle. Inutile aussi de s’interroger sur le coût par demande unitaire bien plus important que dans les réseaux de structures des administrations participantes.
« Les faits ne cessent pas d’exister parce qu’on les ignore. »
(Aldous Huxley)
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