(Conseil de prudhommes de Paris 20-12-2016 n° 14/16389)
Dans une des premières décisions sur le sujet, le conseil de prudhommes de Paris requalifie en contrat de travail la relation entre un auto-entrepreneur et une plateforme assurant la mise en relation avec des clients.
Un chauffeur VTC sous statut d’auto-entrepreneur ayant conclu avec une plateforme numérique un contrat de location de véhicule et un contrat d’adhésion au système informatisé permettant la mise en relation avec les clients demande la requalification de la relation de travail en salariat. Réuni en formation de départage, le conseil de prud’hommes de Paris fait droit à sa demande. En effet, comme cette juridiction le rappelle, le statut d’auto-entrepreneur ne constitue pas une présomption irréfragable s’opposant en toute hypothèse au salariat (2ème chambre civile de la Cour de Cassation, 7-7-2016 no 15-16.110 FS-PB).
Un état de subordination établi…
Après avoir rappelé que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur, le conseil a relevé un faisceau d’indices démontrant que le chauffeur se trouvait en état de subordination et de dépendance économique vis-à-vis de cette entreprise.
Le juge relève d’abord que le salarié apporte la preuve qu’il se trouvait soumis au pouvoir de direction et de contrôle de la société. Ainsi les obligations mises à la charge du chauffeur par la plateforme dépassaient notablement celles pouvant être imposées dans le cadre d’un contrat de location de voiture : l’intéressé recevait des directives et son comportement, sa tenue vestimentaire et ses heures de travail étaient contrôlés.
… De même qu’une dépendance économique
Ensuite, le juge constate une situation de dépendance économique. Si, en théorie, l’entreprise ne s’opposait pas à ce qu’il développe une clientèle distincte, elle interdisait au chauffeur de marauder ou de recourir à une société concurrente. Ces dispositions rendaient en définitive inexistante la possibilité pour l’intéressé de développer une clientèle en dehors des utilisateurs de la plateforme.
En principe, le critère de la dépendance économique est à lui seul insuffisant pour prononcer la requalification d’une relation en contrat de travail (Cour d’Appel de Reims 17-2-2010 no 09-329). Occasionnellement, les juges s’y réfèrent cumulativement avec, comme ici, celui de la subordination juridique (Chambre Criminelle de la Cour de Cassation 29-10-1985 no 84-95.559 ; Chambre Criminelle de la Cour de Cassation 5-1-1995 no 93-84.923). Toutefois le critère de la dépendance économique semble avoir été prédominant dans la décision du conseil de prud’hommes qui a souligné qu’il était « un obstacle rédhibitoire au maintien du statut d’auto-entrepreneur ». Face à de nouvelles formes d’organisation du travail, il est peut-être appelé à être davantage mobilisé par les juges.
Le résultat est lourd pour l’entreprise de VTC puisqu’elle a été condamnée, en application du Code du travail et de la convention collective de branche au paiement notamment d’un rappel de salaire, d’heures supplémentaires, d’indemnité de congés payés, de repas et de costume et d’une indemnité pour travail dissimulé.
D’autres décisions en attente
De nombreux autres litiges sont pendants devant les conseils de prud’hommes. Par ailleurs, début 2016, l’Urssaf d’Ile-de-France a procédé au redressement d’une autre plateforme (Uber), estimant que les chauffeurs VTC qui y avaient recours étaient en réalité salariés. L’entreprise a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale dont nous attendons le jugement avec intérêt.
Le point de vue de la FSU-Finances
Il s’agit là d’une décision extrêmement importante, à l’heure où l’on voudrait nous faire avaliser le fait que désormais plus aucun travailleur n’aura de droits collectifs attachés à son contrat de travail ou à son statut, et que tous nous devrons désormais être auto-entrepreneurs (rebaptisés désormais « micro-entrepreneurs par l’administration fiscale). Donc sans protection sociale, sans congés payés, sans salaire minimum, sans durée légale du travail…. Avec à la place une aumône socialisée nommée revenu de subsistance pour les uns, ou revenu universel pour les autres. Et un travail à la tâche payée des clopinettes sur un « marché du travail » transformé en « marché aux bestiaux » où il faudra se vendre chaque jour au moins offrant.
De cette société, nous ne voulons pas.