tiré
d’Alternatives économiques, l’augmentation de la
pauvreté en France
En
France, la crise s’est traduite par une forte hausse de la
pauvreté et des inégalités. Entre 2008
et 2011, dernière année pour laquelle l’Insee
vient de publier des chiffres, le nombre de pauvres s’est accru de 890
000 personnes et la pauvreté touche désormais 8,7
millions d’habitants, soit 14,3 % de la population
française. Un Français sur sept doit vivre avec
moins de 977 euros chaque mois, le seuil de pauvreté
officiel à 60 % du revenu médian (*) .
Un peu plus de 2 millions de ces pauvres ont un emploi, un chiffre en
hausse de 100 000 personnes depuis 2008 : 1,5 million comme
salariés et 500 000 comme travailleurs
indépendants. Un million sont chômeurs, soit
39 % de l’ensemble des sans-emploi, contre 36 % en
2008. Mais surtout 2,7 millions, un tiers du total, sont des enfants de
moins de 18 ans, soit près d’un sur cinq dans cette
population… Une proportion en hausse de 2,2 points de
pourcentage depuis 2008. Facteur aggravant, c’est surtout le nombre des
très pauvres qui s’accroît : ceux qui
doivent vivre avec moins de 814 euros par mois, 50 % du revenu
médian, sont désormais 4,9 millions
(7,9 % des Français), 580 000 de plus qu’en 2008,
soit une hausse de 14 %.
Les
chiffres officiels de la pauvreté monétaire pour
2012 et 2013 ne sont pas encore connus, mais tous les
éléments dont on dispose par ailleurs indiquent
une sévère aggravation supplémentaire.
Les Restaurants du coeur ont ainsi accueilli 100 000 personnes de plus
l’hiver dernier, aidant désormais 960 000 personnes, un
chiffre en hausse de 40 % depuis 2008. Tandis que le nombre
des bénéficiaires du revenu de
solidarité active (RSA) s’est accru de 174 000 entre
décembre 2011 et juin 2013, une hausse qui marque une nette
accélération par rapport aux années
antérieures. Du coup, la barre des 2 millions de
bénéficiaires a été
franchie au printemps dernier. De plus, cette hausse concerne quasiment
uniquement ceux qui reçoivent le « RSA socle » parce qu’ils ne
travaillent pas.
Cette
forte aggravation de la pauvreté s’est traduite
parallèlement par une hausse sans
précédent des inégalités.
Les 10 % de Français les plus pauvres ont vu en
effet leur pouvoir d’achat reculer de 3,4 % entre 2008 et
2011. Les pauvres avaient en 2008 un revenu médian de 803
euros par mois (en euros constants de 2011), celui-ci
n’était plus que de 790 euros en 2011. C’est un recul
nettement plus important que pour le « Français
médian » (50 % gagnent plus que lui et 50 %
moins), qui a cependant perdu lui aussi 0,2 % de pouvoir
d’achat. A l’inverse, les 5 % les plus riches ont vu, eux,
leur pouvoir d’achat s’accroître encore de 3,5 %.
Les 20 % des Français les plus riches gagnaient en
moyenne 4,3 fois plus que les 20 % les plus pauvres en 2008.
Ils en gagnent désormais 4,6 fois plus.
La
crise a marqué une accélération
très sensible de la tendance préexistante
à la hausse des inégalités dans la
société française. Ces chiffres datent
cependant de 2011, avant donc les hausses importantes des
prélèvements sur les revenus des plus
aisés décidées pour le budget 2012 par
Nicolas Sarkozy, puis pour 2013 par François Hollande.
Que
la crise débouche sur une stagnation, voire sur une baisse
des revenus moyens des Français, comme c’est le cas depuis
2008, c’est malheureusement inévitable. Mais qu’elle
aboutisse à une telle hausse de la pauvreté, ne
l’est pas forcément, car il est question ici de
pauvreté relative. Le
nombre de pauvres a beaucoup augmenté en France depuis 2008
alors même que notre appauvrissement global est
déjà acté dans le revenu pris en
référence : le seuil de
pauvreté qui était à 985 euros par
mois en 2008 est ainsi descendu à 977 euros en 2011.
Il
y a même de bonnes raisons de penser que l’inverse aurait
dû se produire. Nos systèmes sociaux, si
généreux paraît-il, auraient
dû amortir le choc pour les plus pauvres et les
chômeurs. Tandis qu’au contraire, les maigres profits des
entreprises, la baisse des taux d’intérêt sur les
placements et le recul des prix de l’immobilier auraient dû
peser lourdement sur les revenus des plus riches. On aurait pu penser
que ceux-ci seraient aussi davantage touchés que les
salariés ordinaires dont les revenus sont relativement
rigides.
On
observe d’ailleurs des situations très diverses sur ce plan
en Europe. La France est, derrière l’Espagne, un des pays
où le taux de pauvreté a le plus
augmenté entre 2008 et 2011, quasiment trois fois plus que
la moyenne de l’Union européenne. Ce taux a en revanche
sensiblement baissé dans plusieurs pays pourtant plus
gravement touchés par la crise que l’Hexagone, comme
l’Irlande, le Royaume-Uni et le Portugal. Il en va de même
sur le plan des inégalités : en moyenne,
elles ne se sont pas accrues dans l’Union européenne entre
2008 et 2011. Parce qu’elles ont diminué un peu en
Allemagne, mais aussi au Royaume-Uni, en Belgique ou encore aux
Pays-Bas. Les inégalités ont même
augmenté davantage en France qu’en Grèce entre
2008 et 2011, selon Eurostat !
Bref,
contrairement à ce qu’on pourrait penser, la forte hausse de
la pauvreté et des inégalités
constatée en France depuis 2008 ne résulte pas
tant de la crise en tant que telle que de l’amplification de ses effets
par des politiques publiques qui visaient alors à rendre le
système fiscal moins redistributif et à faire la
chasse à l’assistanat. Nicolas Sarkozy voulait en effet
remettre en cause les mécanismes de soutien aux revenus des
plus pauvres au nom du « travailler plus pour gagner plus ». Mais,
évidemment, quand il y a beaucoup moins de travail, on
arrive au résultat que l’on voit. Les politiques
engagées depuis l’an dernier par François
Hollande vont-elles permettre d’inverser cette tendance ? Il
est encore trop tôt pour le dire, mais les contraintes
budgétaires et le dumping fiscal intra-européen
en limitent beaucoup les ambitions.
*
Revenu médian : la moitié gagne plus, l’autre
moitié gagne moins.
Article
issu du dossier Licenciements,
inégalités, pauvreté : on
fait quoi ?
— –
LES RICHES SONT-ILS A PLAINDRE ?
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